La règlementation REACH
CRIEPPAM
Note sur la situation des règlementations concernant les huiles essentielles
Résumé:
les nombreuses règlementations applicables aux huiles essentielles ne sont pas adaptées à ces produits, et considèrent ces produits comme des mélanges chimiques.
La conséquence est l'utilisation de plus en plus compliquée des huiles essentielles dans les produits finis, au détriment des produits chimiques de synthèse. Paradoxalement, les consommateurs sont demandeurs de produits naturels.
La règlementation REACH :
(acronyme de enRegistrement, Evaluation, et Autorisation des produits CHIMIQUES).
La Règlementation REACH a un objectif noble, qui est de protéger le consommateur européen de tous les produits chimiques potentiellement dangereux qui l'entoure.
Les récents scandales du Bisphénol A et autres phtalates présents dans notre quotidien, viennent nous rappeler la nécessité de connaître les dangers réels de tous ces produits chimiques.
REACH se propose donc d'exiger un dossier pour chaque produit chimique fabriqué ou importé dans l'union européenne, une sorte de dossier d'homologation, dont le niveau de détails et donc le coût, serait proportionnel à la quantité fabriquée par an et par fabricant.
C'est la raison pour laquelle il y a des bandes de tonnages par fabricant: exemption en dessous de 1T/an, bandes 1/10T; 10/100T; 100/1000T; >1000T. Plus le tonnage est élevé, plus le dossier sera lourd, et le délai d'enregistrement plus court.
Ce dossier d'homologation comprend trois volets:
- des données physico chimiques (densité, point éclair, viscosité, ... );
- des données toxicologiques : (dose létale, irritation, sensibilisation, ... ),
- et des données écotoxicologiques (dose létale sur les poissons, biodégradabilité, persistance, ...)
Les produits naturels sont normalement exemptés de REACH, sauf s'ils répondent aux critères de classification des substances dangereuses, ce qui est le cas de la plupart des huiles essentielles, car la plupart sont au moins irritantes pour les yeux, ou inflammables, ce qui suffit à renier le fait qu'elles sont naturelles et à les considérer comme substances chimiques. Le pétrole, lui, est exempté tout court ....
Cette première erreur est à la racine de situations sans réponses, car on aura beau le tourner dans tous les sens, le naturel et les HE (Huiles Essentielles) ne veulent pas rentrer dans les «cases» prévues par la chimie.
En admettant qu'on doive faire un dossier comme pour les produits chimiques, se posent des questions embarrassantes:
- qui est le fabricant de l'huile essentielle (car au regard de REACH c'est lui le responsable du dossier)
- et comment va-t-on définir cette huile essentielle?
Pour la première question, l'industrie et l'administration ont répondu à notre place et ont dit que le distillateur est le fabricant de l'huile essentielle.
Nous avons là une deuxième erreur fondamentale, conséquence de la première. Le distillateur est celui qui extrait l'huile essentielle de la plante, mais c'est la plante qui, par la biosynthèse fabrique l'huile essentielle.
La question suivante, est: comment définit-on l'huile essentielle, et comment sélectionnera-ton un échantillon représentatif de l'huile essentielle?
En effet, contrairement aux produits chimiques, chaque plante fabrique une huile essentielle différente, et la nature a fait qu'on peut y trouver plus de 600 constituants distincts. Chacun de ces constituants est variable, une dizaine d'entre eux représentent 90% du produit pour une HE donnée.
Depuis plusieurs années, d'éminents chimistes de la parfumerie planchent sur cette question sans réussir à apporter une réponse satisfaisante.
En 2012, FranceAgriMer a fait réaliser une étude par l'INERIS (Institut National de l'environnement industriel et des risques), pour étudier ces questions épineuses.
La proposition qui en ressort, est d'assimiler l'huile essentielle à un mélange chimique des principaux constituants.
A la question de savoir comment choisir un échantillon représentatif, ils proposent de prendre un échantillon dans lequel tous les constituants chimiques dangereux seraient maximisés, ce qui une aberration supplémentaire qui reviendrait à demander à la nature de produire un échantillon totalisant 140%, ou bien, cela n'a pas été écrit explicitement, il serait plus simple de faire un mélange chimique à partir des produits chimiques de synthèse isolés.
La question de la définition de l'HE reste donc entière, et on peut dire, qu'un dossier qui sera fait à partir d'un échantillon donné sera facilement contestable, car tous les lots réels seront différents de cet échantillon, dans des proportions suffisamment importantes pour dire que les résultats sont remis en cause.
L'écotoxicité est une autre source d'aberration.
Tout d'abord, il faut mesurer l'écotoxicité, la bioaccumulation et la persistance de produits qui sont présents dans la nature depuis des millions d'années.
S'ils étaient persistants, ne les retrouverait-on pas dans les nappes phréatiques et les rivières?
L'évolution nous enseigne depuis longtemps que la nature sait dégrader les produits organiques qu'elle produit.
En outre, pour simplifier le problème, les HE sont insolubles dans l'eau. Or pour ces tests, il faut une dose donnée dissoute dans l'eau.
Qu'à cela ne tienne, les écotoxico chimistes ont prévu de rajouter des solvants aux huiles essentielles pour les obliger à aller dans l'eau, et mesurer l'effet sur les poissons, c'est ce qui a été fait pour l'HE d'orange, sans succès.
Obstacle suivant: la concentration de chaque constituant doit être maintenue constante dans l'eau tout au long du test, or pour les huiles essentielles, chaque constituant a une solubilité différente, et une durée de dégradation différente.
En clair, l'évaluation écotoxicologique est inutile, et les méthodes adaptées aux huiles essentielles sont inexistantes. Malgré tout, aucun aménagement n'a été possible, ni proposé.
Les allergènes:
Il existe déjà une règlementation sur les allergènes obligeant l'étiquetage de la présence de constituants considérés comme allergènes.
Pour aller plus loin, le conseil scientifique européen, préoccupé par la gravité et la fréquence des allergies, propose de passer la liste des allergènes de 26 à plus de 130; et de transformer les seuils d'étiquetage en seuil d'interdiction.
Il deviendrait ainsi interdit de se parfumer avec de la lavande, mais la plupart des grands parfums de renom seraient aussi condamnés.
Cette proposition, est fortement contestée par l'industrie, et même si dans un futur proche, la loi est repoussée, la proposition refera surface.
L'opinion finale établie par le SCCP (Comité Scientifique des Produits de Consommation de la communauté Européenne) d'Octobre 2012 est affligeant. En page 256, au sujet du lavandin, les résultats cités de tests sur le lavandin sont largement négatifs, néanmoins, la conclusion est que, étant donné que cette huile essentielle contient des substances classées allergènes, le lavandin devrait tout de même être classé comme allergène. Ce cas montre une nouvelle fois que la propriété de l'huile essentielle n'est pas celle de ses constituants de la chimie; par ailleurs la crédibilité et l'intégrité d'une commission scientifique qui fait de tels raccourcis est fortement douteuse.
L'étiquetage:
L'effet repoussoir des pictogrammes annoncés n'est pas le seul problème engendré par l'étiquetage.
D'abord, les incohérences: lorsque le produit est bio, il est classé alimentaire, et c'est alors le seul usage dont on peut parler. Le même produit, comme la lavande par exemple, dans une autre utilisation, devrait être classée "Peut être mortel par ingestion".
La lavande serait devenue un poison?
Par ailleurs, aujourd'hui, il est prohibé de parler des vertus des huiles essentielles, alors que leurs usages sont ancestraux; de quel droit peut-on interdire de parler des usages ancestraux et de transmettre des savoirs populaires, et sommes-nous revenus à une nouvelle forme d'inquisition?
La notion de multi-usage est reniée par la règlementation, il faut obligatoirement choisir l'usage que devra faire l'utilisateur du produit, alors que l'huile essentielle de lavande est multi-usage depuis toujours.
Autres règlementations :
Les huiles essentielles sont impactées par de nombreuses autres règlementations, qui n'ont pas été prévues pour les naturels, et qui posent de nombreux problèmes du même type:
- règlementation CLP,
- règlementation sur les compléments alimentaires,
- règlementation sur les Bonnes Pratiques de Fabrication des médicaments,
- règlementation biocide, ...
Les arguments pour exiger un autre traitement pour les plantes, leurs extraits et leurs usages:
Les huiles essentielles ne sont pas des produits chimiques, même si elles peuvent être utilisées comme matière première dans l'industrie. L'huile essentielle doit être considérée comme un tout et évaluée dans son ensemble.
Il existe de nombreuses preuves, par des essais reconnus, que les propriétés d'une huile essentielle sont différentes de la somme des propriétés des constituants. On ne peut donc pas évaluer une huile essentielle à partir de logiciels; ce n'est qu'une utopie, qui permet de remplir les cases, pensant faire ainsi des économies.
Les coûts des dossiers sont complètements disproportionnés à la taille des distilleries; or le texte de Reach prévoit que les états fassent en sorte que les petites structures ne soient pas pénalisées financièrement.
L'exigence de ces dossiers revient à constituer des brevets sur le vivant, ce qui est contraire aux conventions internationales; en effet seuls ceux qui auront les dossiers pourront commercialiser; alors que les huiles essentielles sont des produits naturels issus du vivant, qui ne peut pas être breveté.
Le courrier reçu du sénateur Duffaut, en 2007, nous précisait qu'il avait été acté que l'agence européenne ECHA, avait l'obligation de venir vers les producteurs, pour faire des propositions concrètes en donnant des directives spéciales pour l'enregistrement des produits naturels: cet engagement n'a pas été respecté.
Les propositions possibles:
D'abord, les producteurs ne sont pas opposés à l'évaluation des huiles essentielles, mais avec des méthodes adaptées au naturel, qui tiennent compte du naturel et du vivant, et avec des moyens compatibles avec leur activité.
Le naturel n'est pas compatible avec les cases des règlementations européennes.
Il ne faudrait pas se contenter de déplacer le problème et le transférer sur l'industrie: le danger serait encore plus grand, car si les dossiers ne sont pas faits, les produits seraient directement abandonnés.
Il faudrait demander un statut spécifique pour les plantes, leurs extraits, et leurs usages.
Ces biens sont ancestraux, nous n'avons pas le droit de laisser disparaître ces savoirs, ces productions, ni de les privatiser; c'est un patrimoine collectif, universel. Dans tous les cas ça reste un produit agricole, ce qu'il faut défendre, mais au-delà pourquoi ne pas proposer une reconnaissance au patrimoine immatériel culturel de l'Unesco pour les plantes leurs extraits et leurs usages?
Lire le dossier complet : dossier-reach.pdf