Anecdotes
Une histoire d'Abeilles et de Lavande
Dans la vallée de Sainte-Jalle, près de Nyons, il y en a qui cultivent le lavandin et qui élèvent des abeilles. Il y en a d'autres qui ne font que cultiver le lavandin, et d'autres encore qui élèvent les abeilles mais ne cultivent pas le lavandin...
Tout le monde cohabite bien en général, les abeilles, le lavandin et ceux qui s'en occupent.
Cependant, il arrive parfois entre ceux qui cultivent le lavandin et n'élèvent pas d'abeilles et ceux qui élèvent des abeilles et ne cultivent pas le lavandin des dissensions : ces querelles, pas très graves au départ, peuvent, de temps en temps seulement, s'envenimer (comme une piqûre d'abeille sur laquelle on néglige de mettre un peu d'essence de lavande ou... de lavandin).
Voici l'histoire d'une de ces querelles :
Il les cultivait avec amour et prenait même plaisir à les contempler, quand il travaillait ses champs, et que, du haut de son tracteur, il contemplait le bel alignement des raies en pleine floraison...
Seulement voilà : les abeilles de son apiculteur de voisin, Séraphin, lui étaient parfois un peu pénibles. Oh! pas vraiment méchantes, il est vrai, mais "zonzonantes'' et entêtées, toujours à venir butiner ses lavandins, ce qui n'est pas bien grave, au contraire, mais aussi à tourner autour de leur propriétaire que le manège agaçait un peu...
Enfin, les abeilles, c'est quand même bien utile et joli, et puis, c'est merveille de les voir faire, de penser que le bon miel si délicieux avec les noix, ce sont elles qui nous le fabriquent...
Alors Ephraïm ne rouspétait pas, ni après les abeilles, ni après Séraphin...
Mais les choses se gâtèrent vraiment un beau matin où Ephraïm, tranquillement en train de biner doucement entre ses touffes de lavandin, vit arriver sur lui un escadron et même toute une armée d'abeilles, grosses, noires, agressives. . . et qui, au lieu de venir gentiment lui tourner autour pour prendre de ses nouvelles, se mirent proprement à l'attaquer et à vouloir le chasser hors de son propre champ...
Le pauvre Ephraïm ne dut son salut qu'à de grands coups de casquette et à une fuite rapide...
Il alla demander raison au Séraphin de l'attitude de ses nouvelles pensionnaires et s'entendit répondre qu'il s'agissait d'une nouvelle race d'abeilles, très agressives, mais très productives, moyennant quoi il était hors de question de s'en débarrasser...
On dit, ajouta Séraphin, qu'elles viennent de Russie...
Décidément, pensa Ephraïm, il faut se méfier de ce qui vient de l'étranger... mais comme il était d'un naturel conciliant, il ne se fâcha pas et retourna à ses lavandins... ou plutôt, voulut y retourner. Car les abeilles ''russes'', elles, elles y étaient déjà et entendaient bien y rester.
Ephraïm ne pouvait plus entrer dans son champ... Pendant des jours, il tenta l'expérience mais, à chaque fois, à peine y était-il depuis quelques minutes que ses intolérantes voisines commençaient à s'énerver et il devait battre en retraite...
Il retourna voir Séraphin qui ne voulut rien savoir et même lui précisa, goguenard, que les ruches étaient bien sur ses terres, et que les abeilles, personnellement, elles ne le génaient pas du tout...
Ephraïm réfléchit et l'idée jaillit : muni d'un casque d'apiculteur, de gants et de bottes, il se rendit dans son champ et vaporisa largement sur les haies qui le bordaient et quelques raies de lavandin une solution bien concentrée de bleu de méthylène...
Puis il attendit.
Il ne pouvait toujours pas travailler ses lavandins et l'herbe y poussait à coeur joie. D'autres s'en "donnaient'' aussi comme des folles : c'étaient les ''abeilles russes'' de Séraphin qui butinaient du matin au soir avec une énergie égale à leur agressivité.
Séraphin était bien un peu étonné de voir Ephraïm regarder tout ça en souriant, mais bon, il avait d'autres chats à fouetter et du miel à récolter...
La récolte de miel, parlons-en, elle fut belle, magnifique même, comme jamais elle ne l'avait été... malheureusement, le miel que Séraphin récolta en abondance cette année-là avait une extraordinaire couleur... bleutée, qui n'en altérait nullement la qualité, mais qui le rendait rigoureusement invendable car les gens n'ont pas bien l'habitude du miel bleu sur les tartines.
Alors Ephraïm, il a bien ri dans son coin. Séraphin s'est discrètement renseigné chez le droguiste, à Nyons, et il a tout compris... Il n'a rien dit.
Vexé, il a renvoyé chez elles les ''abeilles russes'' et n'a plus repris que des abeilles d'ici, un peu taquines mais bien gentilles, qui font tellement bon ménage avec le lavandin et ceux qui le cultivent...